Published 26 December 2006, originally published at http://oumma.com/Ramon-Grosfoguel-Le
How do you analyze the issue of minorities in the United States?
The U.S. Census Bureau recognizes that whites will be the minority demographic in 2050. We see already in California, in particular, where Latinos are the majority. These demographic changes are going to question white supremacy and hegemony over the country. This is camouflaged by the multicultural discourse in the United States and the republican discourse in France.
The United States is a democratic regime of neo-apartheid democracy historically run by whites to the exclusion of other ethnic groups: Latinos, African Americans, Native, Asian …Â Since 1776, the white demographic dominance, and thus majority rule, the power was theirs “legitimately” and the control of the economy and culture. Recall that before the civil rights movements of the 1960s, it was legal to discriminate. Today it is against the law, but in fact there was a shift from a biological racism to a cultural racism. Therefore: “I do not discriminate against you because you are black or Latino but because you do not possess sufficient cultural attributes for a particular use (discourse of cultural inferiority).”
These demographic changes will make white supremacy more visible and will delegitimize the idea that American society is a democracy, unless it is deeply decolonized. The struggle for the decolonization of the American Empire began from the inside, with the mobilization of millions of Latinos in the spring.
You speak of coloniality of power to define the forms of domination in the United States. What is it?
Multitudes magazine published in its No. 25 (Fall 2006) I wrote an article explaining the concept of coloniality of power. This concept was born from a discussion among Latin American intellectuals and Latinos living in the United States. It considers that the decolonization process is incomplete and that the idea that colonial relations have disappeared with the collapse of colonial administrations is the great myth of the twentieth century. Since the conquest of the Americas, we lived in a system of domination led by the descendants of European settlers.
This applies to North America like the rest of the continent. The coloniality of power did not end with the end of colonial administrations. At the nation-state level, the descendants of whites continue to dominate the power structures in the Americas. Globally, a minority of white capitalists in metropolitan European and Euro-North Americans continue to dominate.
But with changing demographics, new challenges appear. Democracy cannot be reduced to the representation of the majority (white) or we go to a form of Neo-apartheid (a new kind of apartheid in which some persons belonging to minorities provide succor a multicultural white capitalist power by eg Condoleeza Rice). The events of 1 May 2006, the largest in the history of the United States, with millions of Latinos in the streets of major U.S. cities marks a break.
Whether they have papers or not, millions of people have dared to express their desire to be in society and not outside. Latinos in the United States have proved to be a political and economic force now. This movement is perhaps the beginning of the decolonization of the American Empire. We must be attentive to the consequences…
And how do you analyze the situation in France?
It seems to me that the French system represents so far the most abstract universalism that reflects a “coloniality of power to the French.” Unlike ambient speech, communitarianism in France is primarily a communitarian white, male and elitist discourse. Instances of power, whether political (parliamentary… ) or economic (large companies) are held by the same group that continues to reproduce its privileges.
The paradox is that certain ethnic communalism is taxed so that leaves them with no real means to achieve certain socio-economic spheres. Though they suffer multiple discrimination at school or at work for decades, their ability to defend itself is very limited. The riots of October 2005 illustrate the impasse of the French system which proclaims on the one hand a theoretical equality and on the other fails to impose a real equality of opportunity.
The idea of French secularism reflects the same logic, it means universal but rather a form of “secularization of Christian cosmology,” far from neutral. The French Republic is, in my opinion, the secularization of the Gospel of St. Paul. For example, the law on religious signs does not mention the idea of respect for religions.
It implies rather the idea that to be totally French, we should not show that you have a religion. Thus, we cannot define secularism as a principle of respect for religions as it denies a part of the identity of certain individuals. This law does not solve the Muslim beliefs that the veil is a necessity for salvation, it is the same for the Sikh turban. I will go further in emphasizing the overtly Islamophobic nature of the Act that inflicts a moral violence on a certain population you do not measure.
Interview by Elyamine Settoul
PhD student at the Institute of Political Studies in Paris
Original French follows
Ramon Grosfoguel : « Le communautarisme en France est surtout un communautarisme blanc »
Ramon Grosfoguel, est Professeur de “Ethnic Studies” à L”Université de Californie à Berkeley.
Comment analysez-vous la question des minorités aux Etats-Unis ?
Le bureau de recensement américain reconnaît que les blancs seront démographiquement minoritaires en 2050. Nous le voyons déjà en Californie, notamment, ou les latinos sont majoritaires. Ces changements démographiques vont questionner la suprématie blanche et son hégémonie sur tout le pays. Celle-ci est camouflée par le discours multiculturel aux Etats-Unis et par le discours républicain en France.
Les Etats-Unis sont un régime de démocratie de neo-apartheid, une démocratie historiquement dirigée par les blancs à l’exclusion des autres groupes ethniques : latinos, afro-américains, indigènes, asiatiques…Depuis 1776, les blancs dominaient démographiquement, et donc, selon la règle de la majorité, le pouvoir leur revenait « légitimement », ainsi que le contrôle de l’économie et de la culture. Rappelons qu’avant les mouvements des droits civils des années 1960, il était légal de discriminer. Aujourd’hui c’est interdit par la loi, mais en fait il y a eu un glissement d’un racisme biologique vers un racisme culturaliste. C’est : « je ne te discrimine pas parce que tu es noir ou latino mais parce que tu ne possèdes pas les attributs culturels suffisants pour tel ou tel emploi (discours de la infériorisation culturelle). »
Ces changements démographiques vont rendre plus visible la suprématie blanche et vont délégitimer l’idée que la société américaine est une démocratie, à moins qu’elle ne se décolonise profondément. La lutte pour la décolonisation de l’empire américain a commencé, de l’intérieur, avec les mobilisations de millions de latinos au printemps dernier.
Vous parlez de colonialité du pouvoir pour définir les formes de domination aux Etats-Unis. De quoi s’agit-il ?
La revue Multitudes a publié dans son numéro 25 (automne 2006) un article que j’ai rédigé qui explique le concept de colonialité du pouvoir. Ce concept est né d’une discussion entre intellectuels latino-américains et latinos vivant aux Etats-unis. Il considère que les processus de décolonisation sont inachevés et que l’idée selon laquelle les relations coloniales ont disparu avec l’effondrement des administrations coloniales est le grand mythe du XXe siècle. Depuis la conquête des Amériques, nous avons vécu dans un système de domination dirigé par les descendants de colons européen.
C’est valable pour l’Amérique du Nord comme le reste du continent. La colonialité du pouvoir ne s’est pas achevée avec la fin des administrations coloniales. Au niveau de l’Etat-nation, les descendants des blancs continuent de dominer les structures de pouvoir dans les Amériques. Au niveau mondial, une minorité de blancs capitalistes des centres métropolitains européens et euro-américains du nord. continuent à dominer.
Mais avec les changements démographiques, de nouveaux enjeux apparaissent. La démocratie ne pourra être réduite à la représentation de la majorité (blanche) ou alors nous irons vers une forme de Neo-apartheid (un nouveau type d’apartheid dans lequel quelques personnes issues des minorités donnent un aspect multiculturel au pouvoir capitaliste blanc, par exemple Condeleeza Rice). Les manifestations du 1er mai 2006, les plus grandes de l’histoire des Etats-Unis, avec des millions de latinos dans les rues des principales villes américaines, marquent une rupture.
Qu’ils aient des papiers ou non, des millions de personnes ont osé exprimer leur volonté d’être dans la société et non en marge. Les latinos aux Etats-Unis ont démontré qu’ils constituaient une force économique et désormais politique. Ce mouvement constitue peut-être le début de la décolonisation de l’empire américain. Nous devrons être attentif aux conséquences….
Et comment analysez-vous la situation en France ?
Il me semble que le système français incarne de manière extrême l’universalisme le plus abstrait qui reflète « une colonialité du pouvoir à la française ». Contrairement aux discours ambiants, le communautarisme en France est surtout un communautarisme blanc, masculin et élitiste. Les instances de pouvoir, qu’il soit politique (Parlement…) ou économique (grandes entreprises) sont tenues par le même groupe qui ne cesse de reproduire ses privilèges.
Le paradoxe, c’est qu’on taxe certains groupes ethniques de communautarisme alors qu’on ne leur laisse pas de véritables moyens d’accéder à certaines sphères socio-économiques. Ils ont beau subir de multiples discriminations à l’école ou au travail depuis des décennies, leur capacité à se défendre est très limité. Les émeutes d’octobre 2005 illustrent l’impasse dans laquelle se trouve le système français qui proclame d’un côté une égalité théorique et qui de l’autre échoue à imposer une réelle égalité des chances.
L’idée de laïcité à la française reflète cette même logique, elle se veut universelle mais constitue plutôt une forme de « sécularisation de la cosmologie chrétienne », loin d’être neutre. La République française est, à mon avis, la sécularisation de l’évangile de saint Paul. Par exemple, la loi sur les signes religieux n’évoque pas l’idée de respect des religions.
Elle sous-entend plutôt l’idée que pour être totalement français, on ne doit pas montrer que l’on a une religion. De ce fait, on ne peut définir la laïcité comme un principe de respect des religions puisqu’elle nie une partie de l’identité de certains individus. Cette loi n’apporte pas de solution à la musulmane qui est persuadée que le port du voile est une nécessité pour son salut, il en va de même pour le turban des sikhs. J’irai plus loin en soulignant le caractère ouvertement islamophobe de cette loi qui inflige à certaines populations une violence morale qu’on ne mesure pas.
Propos recueillis par Elyamine Settoul
Doctorant à l’Institut d’études politique de Paris